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dimanche 18 février 2024

Trop Humain - Anne Delaflotte Medhevi

Superbe roman, mais difficile d'en parler.
Ce titre ne m'aurait sans doute pas donné envie de l'ouvrir, mais un roman d'Anne Delaflotte Mehdevi, je n'hésite pas.  J'étais tombée en amour pour son écriture Avec La Relieuse du Gué, et les suivants que j'ai lus m'ont emportée aussi.
Celui-ci est plus étrange, mais je l'ai aussi dévoré en quelques jours. 
Deux thèmes qui s'entremêlent : L'arrivée dans un village d'un AVE : assistant de vie électronique, et les souvenirs des horreurs du temps de guerre, les souvenirs de la vie qui passe aussi.

Suzie tient le Café du Bal, et c'est toute sa vie.  Bien qu'elle ait largement dépassé l'âge de la retraite, elle n'envisage pas d'arrêter. Une routine, de plus en plus difficile, mais qui lui permet de garder contact avec les vivants.
Quand M. Peck, un habitué du café, très "gentilhomme", amène avec lui Tchap, l'AVE qu'il a patiemment créé avec d'autres scientifiques, on ne peut pas dire que les avis sont partagés. Quasiment tout le monde est "contre", pour des motifs plus ou moins logiques et réfléchis.
Mais Suzie va s'y habituer, son rôle est d'accueillir tous les clients, quoiqu'elle en pense. Et puis, Tchap la fait danser, elle qui avait tant aimé ça, et n'avait plus dansé depuis la Libération.
Puis, il souhaite enregistrer la mémoire de Suzie, et va, soir après soir, lui demander de fouiller dans ses souvenirs pour les lui raconter.
Ce qu'elle va faire, dans le désordre, parce que certains souvenirs sont trop douloureux pour les faire remonter. Mais peu à peu, elle accepte d'en parler. Et si c'était ce qui la libérera ? 
Pendant ce temps, le village, bien calme jusque là, s'anime soudain, avec l'installation de communautés, et l'arrivée d'un jeune routard un peu paumé. qui se laissera apprivoiser par Suzie, ou est-ce l'inverse ?

Voilà un résumé qui ne donne aucune idée du bonheur de cette lecture. Et j'ai l'impression de ne pas avoir dit l'essentiel. La mémoire, le numérique, l'humain et la machine, et les horreurs de la Libération qui ont succédé aux horreurs de la guerre. La  peur qui rend les gens méchants et stupides.
Un roman qu'il ne me serait sans doute même pas venu à l'idée d'ouvrir, en cette période où je ne supporte que des lectures très légères. 
Mais c'est Anne Delaflotte Mehdevi : Quelle élégance dans l'écriture, jamais affectée mais toujours précise. 
Ce n'est sans doute pas mon roman préféré d'elle, mais à lire absolument.

Extraits :

Après l'église, le café de cette campagne perdue est ouvert aussi ? Un miracle.

***
Quelque chose dit à Marius que c'est elle qui se coupe les cheveux. C'est plutôt pas mal, c'est juste que comme les tartes Tatin de sa mère, ça sent le fait maison.

***
La numérisation est à l'administration ce que la guerre est à la politique : son paroxysme.

***
Dans les deux cas, je crois que ça y est, me voilà Homme. Car j’ai peur.

***
Et puis d'abord, pourquoi je ne lui parlerais pas ? [à l'AVE] Je parle bien à mes poules, et même à mon églantier, je parle à mon églantier quand je le taille. Et pour autant, je ne suis pas chamane !

***
Tchap m'a demandé un soir de lui parler de la solitude, au delà de la définition du dictionnaire, comme il dit. Je me suis souvenue d'un endroit où elle était réduite à rien. C'était ici, dans cette salle de bal, avant la guerre. Au bal, tu prends du plaisir pour ton compte, mais en communion avec ceux autour de toi. C'est la musique qui fait ça, c'est un liant, comme l'œuf en cuisine. 

***
Tu sais, la lumière des bals de ma jeunesse était celle-là, la lumière du jour. Parce qu'on dansait les dimanches après-midis en ce temps-là.
[Merci de me rappeler ce temps ! Je suis plus jeune que Suzie, mais oui, c'était le dimanche après-midi qu'on allait danser. Souvenirs pour moi aussi ...] 

Éditeur : Buchet Chastel - 11 janvier 2024 - 315 pages - 21.50 €
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