Pages

dimanche 22 octobre 2023

Les papillons bleus T.1 1940-1942 - Pascal Ruter

Ce roman sera incontestablement mon coup de cœur du trimestre, voire de l'année. Je vais avoir du mal à vous en parler, car ce n'est pas tellement l'histoire en elle-même, que la façon de l'auteur de la raconter. L'écriture de Pascal Ruter sublime tous les sujets.
C'est à la fois tendre, dur, poétique, terre à terre, de l'amitié, de l'amour, de la guerre au jour le jour.
Je ne sais vraiment que vous en dire, il faut impérativement le lire. 
Et le faire lire à tous les ados. Une leçon d'histoire inoubliable.

 Je ne suis pas très attirée par les histoires de guerre, mais tous les romans de Pascal Ruter que j'ai lus m'ont enthousiasmée, pas de risque d'être déçue.; Et celui-ci est encore plus extraordinaire.

Toute une époque retracée au fil des pages, par petites touches. La débâcle, les gens sur les routes, la guerre au jour le jour, le marché noir, chacun persuadé qu'il est dans le meilleur camp.
L'évolution des deux amis, au début, m'a fait irrésistiblement penser à "Inconnu à cette adresse".  Mais c'est bien plus dense, on suit l'évolution des personnages. Amitié, amour, tendresse. Musique et poésie.
La guerre à la campagne, et à Paris, Résistants et petits trafiquants. Les commentaires sur les Juifs, de plus en plus nauséabonds, plus rien ne retient certains dans leur haine.
Et malgré tout cela, un roman qui se lit facilement, avec des notes plus légères, l'amitié, les papillons, et même : les bas, tracés avec du thé, mais sans couture...
Un beau clin d'oeil, avec l'instituteur, surnommé Cripure. Qui connait encore Louis Guilloux ?
Et depuis, j'ai en tête :
Una mattina mi sono alzato
O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao
Una mattina mi sono alzato
E ho trovato l’invasor
 
Seul regret : il va falloir attendre pour la suite. ( Mais comme j'ai pris le temps pour vous partager ma chronique, ce ne sera plus trop long, ça y est, il est paru !)


Extraits :

Nous sommes nombreux à avoir reçu une de ses œuvres, et j’aime à penser que par ce truchement votre grand-père ne nous a pas totalement quittés, que tant que ces dessins existeront il restera une part de lui auprès de nous.

***
Dès que je croisais leur regard, dès que je voyais leur petit nez remuer, mon courage fondait. J’avais l’impression que ces maudites bestioles avaient parfaitement deviné ce qui se passait dans mon crâne. De futurs civets, à force d’affection mes trois lapins étaient devenus douze infernales bouches à nourrir, de vrais aspirateurs à carottes et quignons de pain. Ce n’est pas compliqué : plus nous maigrissions et plus ils engraissaient. 

***
– Ils oublient tous que c’est un Juif qui nous a donné les congés payés, la semaine de 40 heures, les conventions collectives. 

***
– Mais c’est pas… légal !
Il éclate de rire.
– Toi alors, t’es vraiment dans un autre monde… Ça t’a servi à quoi d’être si fort à l’école, même que t’as ton certif ? Et la défaite, elle t’a rien appris ? « Illégal », qu’est-ce que ça signifie en ce moment ? La seule chose qui est légale, c’est de ne pas crever de faim. 
Je me sens parfaitement idiot. Félix a raison : ça ne veut rien dire, « légal ». Recenser les familles juives est légal, prendre leurs biens est légal, les forcer à mettre un panneau infamant sur leur commerce est légal. Dénoncer son voisin qu’on soupçonne d’être un Juif caché est non seulement légal mais vivement encouragé. Le sens de ce mot, « légal », se dilue dans l’acide de la tyrannie. 

***
– Nous devons accepter ces sacrifices car ne rien faire serait encore plus terrible. Les exécutions, les arrestations, les Juifs qui n’ont plus aucun droit, qui seront bientôt traqués comme des bêtes, exactement comme en Allemagne… Souviens-toi de ce qui s’est passé dans l’abri… Nous devons lutter contre la tyrannie nazie et nous sommes de plus en plus nombreux. Une armée de l’ombre est en train de naître. N’oublie jamais que ceux qui vivent sont ceux qui luttent. 
Il perçoit mon regard admiratif, sourit, toussote un peu.
– Ce n’est pas de moi. C’est de Victor Hugo.

***
L’empire est à la France ce que les souvenirs sont à la vieillesse. C’est tout ce qui nous reste 

***
– Les Anglais veulent nous prendre la Syrie, le Sénégal, le Gabon. Ils l’ont dit hier sur Radio-Paris. 
– C’est où le Sénégal et le Gabon ?
– Je sais pas, mais ils veulent nous les prendre. Et s’ils n’y arrivent pas tout seul, de Gaulle les aidera. 
– Salauds d’Anglais.

Éditeur : Didier Jeunesse - 5 juillet 2023 - 384 pages - 16.90 €
Lu en numérique via NetGalley que je remercie.




2 commentaires:

  1. Un grand merci pour cette gentille et talentueuse chronique sur mon roman. Et bravo pour ce cher Cripure... La connexion est rare !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci à vous pour nous offrir de si beaux textes.
      Cripure, un de mes premiers souvenirs de théâtre (habitant dans un village, il a fallu que j'attende d'être étudiante pour être en ville, et j'ai tout de suite pris un abonnement au théâtre. C'était en 66-67, et je réalise que si le livre n'était pas récent, la pièce n'avait que quelques années !)
      Je languis de trouver le temps de lire votre deuxième tome.

      Supprimer