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samedi 3 février 2024

Celui qui n'aimait pas lire - Mikaël Ollivier

Un très bon texte, dans une collection jeunesse, et qui serait fort utile aux adultes surtout me semble-t-il. 
J'ai lu plus de quinze romans de Mikaël Ollivier, tous excellents.
À travers son expérience, il nous montre ici comment tout ce qui se fait autour de la lecture, en classe voire à la maison, est plus souvent décourageant qu'encourageant. 
Il nous parle de sa jeunesse, et c'est aussi intéressant que ses romans. Sans ordre chronologique, on le voit cependant se tenir loin des livres d'abord, puis s'en approcher, avant d'y tomber dedans.

Un début sur le destin : que serait-il arrivé si ..., avec plein d'options différentes. De bonnes pistes de réflexion !
Je n'ai jamais eu le plaisir de rencontrer Mikaël Ollivier, je vais hélas peu dans les salons, et je ne sais pas si ses enfants s'appellent réellement Madeleine et Camille. Ça évoque tellement la Comtesse de Ségur !

J'avais déjà lu ce texte il y a près de vingt ans. J'ai beaucoup aimé cette collection "Confessions" de La Martinière. J'y ai découvert de façon intime et passionnante une dizaine d'auteurs jeunesse. Je suis heureuse de cette réédition, j'espère que d'autres suivront.
Je regrette par contre le changement de couverture, je trouvais la précédente bien plus attrayante (mais bien sûr, les photos en première de couverture, ce n'est plus à la mode en jeunesse).
Et j'aimais aussi que ce soit bien identifié avec la mention "Confessions".
Mais n'hésitez surtout pas à lire et faire lire ce livre, il en vaut vraiment la peine.

J'aurais envie de tout vous citer ou presque, alors, excusez-moi, il y a beaucoup de passages que j'ai envie de garder.

Extraits :

— J’aime pas lire…
— C’est pas comme ça que tu vas améliorer ton orthographe ! »
Donc, les livres sont des médicaments contre les fautes d’orthographe. Et comme tous les médicaments, c’est bien connu, ils sont amers…

***

Comme les adultes me disent que c’est en lisant que je vais faire des progrès, le peu de fois où j’ouvre un livre, je lis ses phrases pour l’orthographe de leurs mots plus que pour leur sens. Que raconte le livre ? Je n’en sais rien. Par contre, je note qu’il est plein de ant que j’aurais volontiers écrit avec un e, d’une impressionnante collection de s pour les pluriels, de mystérieux doubles m ou n, de ph qui font f juste pour me faire perdre un point de plus en dictée.

Comme si c’était possible…

 Et on voudrait que j’aime les livres !

***
Si à ce moment précis Mme D. me demandait de quoi parle le poème que je viens de massacrer, je ne saurais pas quoi répondre. Je l’ai appris un vers après l’autre, dans le seul but d’être capable de le réciter de mémoire et de m’assurer la moyenne… Surtout, je rétorquerais que « de toute façon ce n’est pas un poème, mais une récitation ».
« C’est la même chose, me préciserait alors Mme D.
— Ah bon !
— Oui, c’est un poème que tu viens de réciter. »
Mais Mme D ne me pose pas la question. Aucun maître, aucune maîtresse, ne m’a jamais posé cette question.

 Pourquoi, le jeudi, on a « récitation » et pas « poésie » ?
Pourquoi me demande-t-on d’apprendre les vers par cœur dans le but d’être noté plutôt que de les lire pour leur beauté, leur signification, leur musique ?
Qui a décidé, un jour, de faire d’un poème une corvée, une sentence, une humiliation ?
Mes oreilles bourdonnent et mon cœur est au galop. Je m’imagine Baudelaire, Ronsard, Prévert, Éluard, La Fontaine, Hugo, Mallarmé, Valéry, se frottant les mains et ricanant à l’idée des millions de gamins qui allaient être pris de sueurs froides, debout près de leur table, les mains dans le dos, en récitant leurs vers. Mais non, ce n’est pas ça, un poète.
Un poète est amoureux et n’a pas assez des mots de tous les jours pour dire « je t’aime ».
Il est seul et a besoin d’écrire pour aller jusqu’à demain.
Il a fait la guerre et cherche à quoi ça rime, la vie.
Il est humain et veut partager ce qu’il comprend à la vie. Retenir ce qu’il y découvre de précieux. Illuminer ce qu’il y trouve d’odieux. Propager ce qu’il y voit de miraculeux. Dénoncer ce qu’il y remarque d’injuste.
Il s’efforce, par la poésie, comme d’autres par la musique, la peinture, la sculpture ou le cinéma, d’arrêter le cours du temps et de donner un sens à sa vie. À la vie. Il cherche ce lien magique qui, le temps d’une lecture intérieure, unit par la sensation deux êtres qui ne se connaissent pas, qui peuvent avoir vécu à des époques différentes, dans des pays étrangers : l’artiste et le spectateur. L’auteur et le lecteur. Le premier, dans la solitude de son bureau, a écrit des mots inspirés de ce qu’il a vécu et qui vont résonner dans la vie du second. Le moment est différent, le lieu n’est pas le même, mais la sensation est identique.
Ça pourrait être de la science-fiction.
C’est de l’art.
Mais ça, personne ne me le dit quand, en CM2, je me rassois à ma table sous les gloussements de certains de ma classe.
 
Et on voudrait que j’aime la poésie ?

***
 Mais les professeurs ne font pas lire leurs élèves pour qu’ils aiment la littérature ni pour qu’ils y puisent le courage de vivre.
Telle la poésie en cours élémentaire devenant récitation, la littérature au collège et au lycée devient une corvée, un moyen d’évaluation, un outil.

***
Aucun professeur de français, en nous présentant un nouveau livre, ne dit jamais :
« C’est l’histoire d’un homme qui… C’est l’aventure d’une jeune femme qui… Ce livre raconte la vie de… »

***

Au cinéma, il y a les bandes-annonces. De la musique, un montage serré des plus belles scènes accompagnées d’une voix off qui vous dit que vous en aurez pour votre argent : du rêve, de l’aventure, du frisson, du dépaysement, de l’émotion, de l’action et du rire… Pour les livres, au collège, il y a un nombre obligatoire de pages à lire, un résumé à faire en un nombre de lignes donné, et l’analyse d’un extrait à rendre la semaine suivante. Des choux de Bruxelles, une soupe de poireaux, du poisson bouilli plein d’arêtes qu’on vous ressert au goûter si vous n’avez pas fini votre assiette.

Et pourtant, dans Stendhal aussi il y a du rêve, de l’aventure, du frisson, du dépaysement, de l’émotion, de l’action et du rire ! Comme dans Hugo, Dumas, Balzac, Pagnol, Verne, Wells, Voltaire, Christie, Flaubert ou Hemingway…

Sauf que personne ne me le dit.

Éditions de La Martinière Jeunesse - 5 janvier 2024 - 160 pages - 10.90 €
Première édition : 2004
Lu en numérique via NetGalley que je remercie. 

Couverture de la précédente édition

Mes quelques chroniques de Mikaël Ollivier :
Vivement jeudi

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