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vendredi 21 juin 2019

Les larmes de Shiva - César Mallorquí

Un roman sympathique mais qui m'a paru un peu surprenant.
Un rythme lent, tendrement poétique. Une écriture agréablement recherchée, parfois un peu décalée dans la bouche d'un jeune garçon.
Il ne s'agit pas de dialogues mais d'un texte à la troisième personne, mais ça étonne quand même.
Il est vrai que ça se passe en 1969, mais quel enfant dirait :
"Les étoiles étaient un dais de chandelles accroché au-dessus de l'océan" ou
"le maillot de bain ajusté qu’elle portait alors révélait les courbes naissantes d'un corps à mi-chemin entre l'enfant qu’elle avait été et la femme splendide que, dans un futur assez proche, elle deviendrait" (évidemment, c'est plus agréable que de lire : Ouais, t'as vu la meuf ? ;-))
Voire "un homme [...] de complexion robuste."
L'emploi du passé simple est aussi un peu inattendu.

J'avoue que malgré mon grand âge (j'ai quelques années de plus que Javier !) je ne connaissais pas certains mots, le nard, le brai ou syntoniser.
(Pour nard, j'ai des remords de ne pas connaître ... et je viens juste de le retrouver ce matin dans mes mots croisés !!  Les autres me paraissent vraiment rares).
J'ai retrouvé avec amusement une expression plus entendue depuis des lustres : "mêlant sans solution de continuité ..." Je me demande si quelqu'un la comprend encore !

Je m'attarde sur la forme, qui est originale, mais il est temps de vous parler du fonds.



Pour cause de maladie de son père, Javier doit quitter Madrid et ses amis pour passer les vacances à Santander, chez une tante qu'il connait mal.
Il y découvrira la mer, un bouquet de quatre cousines, un fantôme et des secrets de famille.
Et aussi une famille qu vit un peu hors du temps, d'où un rythme d'histoire assez lent et poétique.
Un bijou disparu, sa propriétaire qui lui apparaît parfois (ou pas ?), il mène l'enquête avec la cousine de son âge, et ce qu'ils apprennent sera assez inattendu.

Après L'Île aux mille sources dont l'autrice, bien qu’écrivant en allemand, habite l'Espagne, me voici avec un roman espagnol, ce qui m'arrive très rarement.
Et comme un clin d'oeil à ma précédente lecture, voilà qu'il est question, au détour d'une phrase, de trafic négrier. Puis de la Jamaïque.
Les correspondances entre nos lectures, chères à mon amie Ramettes !

Il est intéressant que le début pose le contexte de la période : 1969, pas d'ordinateurs ni de télé couleurs, un vent de liberté souffle sur le monde : contestation contre la guerre du Vietnam, hippies, révolutions, power flower ... mais en Espagne, c'est la dictature, la peur et le silence.
"Tandis que le monde était un bouillonnement de créativité et d'idées neuves, l'Espagne dormait encore d'une longue sieste de trente ans dont elle semblait ne jamais devoir s'éveiller."

J'ai aimé découvrir un brin d'Espagne, et retrouver une époque révolue que j'ai vécue.
Apprécié aussi la découverte par Javier d'une vie très différente de celle de sa maison, la comparaison entre les liens qu'il a avec son frère, et l'entente des quatre soeurs. Les personnages de ces cousines, si différentes, si bien campées et toutes intéressantes dans leur originalité.

J'ai trouvé agréable que, dans une maison un peu hors du temps, une aventure qui ramène notre héros au tout début du vingtième siècle voire au précédent, on suive en filigrane l'arrivée de l'homme sur la lune, comme pour nous ramener de la poésie à la science.
Avec les inquiétudes de plus en plus vives de Javier à mesure que la date approche, rater ce moment historique est impensable. Et une très amusante conclusion à cela !

Le personnage de Javier m'a cependant un peu agacée : pusillanime à l'extrême, pas très futé souvent ; pour un héros de roman, c'est agaçant !!
Et Violeta est tout de même sa cousine au premier degré, ça ne gêne personne ?

Question subsidiaire : on utilisait vraiment couramment du gel douche en 1969 en Espagne (pas chez moi en tout cas !!!)

Surtout, il me semble que ce roman, que j'ai aimé même si j'ai mis un peu de temps à y entrer, va être difficile à partager avec les jeunes lecteurs.
Un rythme très lent, un vocabulaire si soutenu qu'il peut en être parfois abscons pour eux. Il me semble que les enfants que j'ai autour de moi sont habitués à des romans qui entrent plus rapidement dans l'action, où il se passe plus de choses.
Au début, je me suis même demandée si on s'adressait plus à des adolescents, vu la conversation du grand frère. Mais l’histoire n'est clairement que pour les plus jeunes.
A part les bons lecteurs qui enrichiront leur vocabulaire, et apprécieront la poésie, la douceur et l'ambiance, je crains d'avoir du mal à transmettre ce sympathique roman.
Les côtés polar et fantastique m'ont paru un peu légers et lents.

Un bon roman donc, mais pour quel public ?
Je serais curieuse de savoir l'âge des 500 000 lecteurs annoncés sur le bandeau !!
J'attends vos avis, je pense qu'il va plaire ! (Je devrais être une fois de plus à contre-courant !!)

Oh, j’allais oublier de dire que j'avais bien apprécié les partages de livres entre les cousins, avec de nombreux titres, souvent connus, qui donnent des pistes d'autres lectures ! De Frankenstein à Kafka, d'Hemingway à La Guerre des mondes ...

Qui en parle ?  L'Atelier de Ramettes

Extraits :

Par exemple, chez moi à Madrid, il n'y a pas de fantôme, ni chez mes amis. Les gens normaux n'ont pas l'habitude d'avoir des esprits dans leur chambre d'amis, tu sais ?

***
Elle s'allume et émet des sons, mais comme elle n'a pas encore d'antenne, je n'ai capté que de la neige. Mais attends : une neige excellente.

***
- La télévision ne dit que des bêtises, mais elle hypnotise.

Traduit de l'espagnol par Louis Adenis
Titre original : Las Lagrimas de Shiva (2002)
Éditeur  : Michel Lafon (6/06/2019) NOUVEAUTE
253 pages - 16.95 €
Résumé Babelio



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