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lundi 10 juin 2024

L'écrivain pour enfants qui détestait les enfants - Bertrand Santini

Oh la la, mais quel roman ! 
Plus grinçant que drôle, plus drôle que grinçant !! 
On y retrouve le grand Bertrand Santini, l'auteur du Yark, de Miss Pook. Mais aussi celui de Gurty, qui plait tant.
Gontran Pelpoir, partagé entre ce qu'il aime écrire, et ce que les lecteurs aiment lire, est-il un autoportrait 😄 ?

Il y a tant de niveaux de lecture chez cet auteur qu'il est difficile de parler de façon juste de ce roman sans trop en dévoiler.
Humour, aventure, critique des régimes totalitaires, la vie d'écrivain, les secrets de famille, un peu de peur, beaucoup de rires. Et finalement de l'émotion. Tout est humour, tout est sérieux. 
Les plus jeunes le liront au premier degré, et se régaleront de cette aventure improbable, remuante, et inattendue. Les autres y verront des clins d'oeil, de la réflexion, et se régaleront tout autant.

Un début sans trop de surprise : tout est dit dans le titre. Gontran Pelpoir, brillant universitaire, déteste les enfants, tous, en vrac et en détail. Le cauchemar commence lorsqu'il se retrouve, bien contre son gré, devoir écrire un roman pour ces chers petits ; et surtout lorsque, malgré ses efforts, ils adorent !! Presque classique.
Mais ça ne va pas durer.
Tout part en vrille quand la princesse héritière d'une minuscule dictature de Méditerranée décide qu'elle veut absolument inviter son auteur favori. 
S'il n'avait pas autant de chats à gâter, peut-être Gontran aurait-il pu refuser ? Mais pouvoir les mettre à l'abri de la pluie en refaisant son toit, et leur offrir du saumon, est bien tentant, même pour un misanthrope tel que lui.
Le voilà quasiment prisonnier dans une île, qui serait paradisiaque s'il n'y avait le couple royal, leurs conseillers, quelques gardes et quelques animaux assez dangereux. Et une fillette dont on ne sait qu'attendre, passant de la meilleure humeur à la pire, menaçante ou amusante, et toujours intelligente.
Que la voisine de Gontran, celle qui garde les chats, semble s'ingénier à le mettre en danger à distance avec la meilleure volonté de le prévenir contre ce royaume pourri ne va pas arranger ses affaires.
Et comment expliquer, au roi en personne, que le livre préféré de sa fille serait Prouf, le dragon qui pète ?
Heureusement, il fait la connaissance de Bernie, véhicule assez surprenant. Et seule "personne" sympathique de l'histoire pendant une bonne partie du roman. Unique aide efficace au milieu de tous ces dangers.
Je vous en ai déjà bien trop dit.
Mais j'ajoute qu'on va de surprise en coups de théâtre jusqu'aux dernières pages. (Y compris sur le livre favori)
Qu'on y découvre les fables d'Esope, qui jouent un rôle important, et c'est une bonne idée, peu d'enfants les connaissent.
Qu'on y croise une scène culte du patrimoine cinématographique français (et même moi, absolument nulle en films, je l'avais reconnue avant l'explication !)
L'auteur nous dévoile en quelques mots la misère des écrivains !
Car comme dans la plupart de ses livres, il en profite pour nous faire rire tout en éveillant les consciences.
Peut-être son livre le plus personnel ? Que je regrette de n'avoir pas réussi à le rencontrer, pour parler de ce métier d'écrivain jeunesse.

Et pour ajouter au plaisir, la couverture est de Joëlle Dredemy, illustratrice que j'aime beaucoup.

Un roman proposé à partir de 9 ans, qu'on peut même lire avant à mon avis, et très longtemps après.

Attention : je partage plusieurs extraits parlant des écrivains et de l'écriture, parce qu'ils m'ont particulièrement intéressée et que je veux en garder la trace, mais ce ne sont que quelques passages. Le roman est surtout aventure, humour et action.

Extraits :

Astrale Nougat arborait sur sa poitrine le badge "influenceuse" écrit en jaune fluo. Gontrant Pelpoir trouvait curieux que l'on revendiquât de porter un titre issu d'un verbe défini ainsi : "agir de façon secrète, non apparente ou peu sensible".
Astrale Nougat revendiquait donc fièrement qu'elle faisait profession de manipuler, mentir, fricoter tromper les esprits faibles, et Gontran Pelpoir estimait cocasse qu'une activité si peu morale soit devenue l'un des métiers les plus enviés par la jeunesse.

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Je ne crois pas que l'écriture puisse s'enseigner.

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Heureusement qu'elle ne comprend rien au français ! [...] Y a pas de risque ! Même dans sa langue maternelle, elle ne comprend pas souvent grand-chose !

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- Tu es cent fois mieux que ce que j'avais imaginé. [...]
- Moi, je n'avais rien imaginé, lui murmura-t-il à l'oreille. Mais tu es cent fois mieux aussi.

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À ce sujet, Gontran Pelpoir avait une théorie toute faite qu'il assénait aux écrivains “adultes” qui le toisaient d'un regard méprisant dans les festivals de livres.
L'art de la littérature jeunesse consiste à raconter des choses intelligentes déguisées en bêtises, soit l'exact opposé de la littérature adulte qui produit souvent de la bêtise déguisée en intelligence.

***
Mais enfin ! Il y a forcément des techniques ! On un état d'esprit ! Pour écrire un conte, ne faut-il pas avoir gardé son âme d'enfant ?
Surtout pas ! s'exclama Gontran Pelpoir. Rien n'est plus épouvantable que d'avoir gardé son âme d'enfant !
Comment ça ? s'étonna le roi.
Qu'un enfant ait une âme d'enfant, c'est bien naturel. Il faut s'en accommoder ! Mais qu'un adulte l'ait conservée, et cela fera de lui un monstre ! N'avez-vous jamais remarqué que tous les malheurs du monde sont causés par des adultes qui ont conservé leur âme d'enfant justement ? Enfants, tyrans et dictateurs partagent les mêmes travers : caprice, impatience, égoïsme, et ignorance !

***
Prouf, le dragon qui pète connut un succès honorable, mais Gontran Pelpoir ne devint pas pour autant millionnaire.
Les éditeurs jeunesse, toujours en première ligne pour dénoncer l'injustice et la misère, avaient en effet la curieuse faculté d'oublier comme par magie leurs plus tenaces convictions au moment de la signature des contrats.
Sur chacun de ses livres vendus 10,90 euros, Gontran Pelpoir percevait 63 centimes.

***
Mais être drôle, c'est un métier.
Et rester simple, tout un art !
Gontran Pelpoir réalisa qu'il était plus difficile d'être drôle et simple que de pondre des tirades lyriques et douloureuses qui font la renommée de bien des auteurs. 

Éditeur : PKJ (Pocket jeunesse) - 2 mai 2024 - 289 pages - 16.20 €
Illustration de couverture : Joëlle Dreidemy
Lu en numérique via NetGalley que je remercie.
Et en version papier grâce à Babelio Masse critique, merci !!
Et oui, je l'ai lu deux fois, et je me suis régalée chaque fois !!

Les autres romans de Bertrand Santini dont je vous ai parlé :

Le Journal de Gurty :





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