samedi 21 juin 2025

On ne dit pas Sayonara - Antonio Carmona

 
Quel merveilleux roman sur le deuil, sur les racines, sur l'amitié, la famille et ... les puzzles. Le Japon aussi bien sûr. 
Quatre ans que la mère d'Élise est morte, quatre ans que son père a institué une chape de plomb sur tout ce qui pourrait lui rappeler sa femme qu'il a tant aimé. Interdiction d'en parler, d'écouter sa musique, de parler du Japon ou de parler japonais, et tout ce qui pourrait s'y rattacher, et même interdit de pleurer sauf quand on coupe des oignons, et on en coupe beaucoup dans cette maison à présent. 
Impossible pour Élise de faire son deuil de cette mère subitement disparue totalement, sans même qu'elle sache comment, sans une image, sans un dernier adieu à se rattacher.
D'autant plus difficile que ça lui demande aussi d'occulter la moitié d'elle-même, puisqu'elle est à demi japonaise, et même beaucoup plus physiquement.

Pendant que son père semble se laisser peu à peu avaler par une créature démoniaque, sa fille s'efface doucement, se fait oublier, à la maison comme à l'école.

Mais c'est sans compter sur Stella, sa nouvelle amie, en 5e avec elle, joliment loufoque, et pourtant toujours là avec les mots justes quand Élise a vraiment besoin d'elle.
Stella qui va partager avec Élise sa passion pour Naruto, et les "animés", tandis qu'Élise lui fait découvrir les puzzles.
Et sans oublier aussi leur prof d'arts plastiques, encore plus perchée. 
Tout va basculer quand sa grand-mère arrive du Japon, lassée qu'on la laisse sans nouvelles et sans se soutenir dans ce deuil qui a touché toute la famille. 
Car à l'inverse du père, pas question  pour elle, de faire comme si on oubliait sa fille.
Elle a besoin d'en parler, de la faire revivre par les souvenirs, les photos et les objets, les moments joyeux et les autres.
C'est un peu comme si le soleil revenait dans la maison, et dans le roman.
Ce ne sera pas tout simple pour autant.

Un très beau roman, où l'humour, et la belle écriture, apportent un peu de légèreté.
Un roman qui peut aider, quand le silence remplace la communication qui devrait être.
J'adresse un grand merci à Lirado, qui par sa chronique sur Facebook, m'a incitée à lire ce roman. 
En deuil moi-même, j'ai plutôt tendance à éviter ces sujets, et j'aurais vraiment raté un excellent roman.


Extraits :

[Incipit]

1. La boîte de puzzle et les tombes dans le jardin

C'était la nuit, juste deux jours après le plus grand des drames.
Depuis ma chambre au premier étage, j'entendais mon père hurler comme un dératé en donnant de grands coups de pelle dans la pelouse de notre petit jardin.

***
Je n'avais jamais envisagé qu'on puisse laisser autant de place à quelqu'un qui n'était plus. J'avais vécu depuis quatre ans avec le silence, le secret, le gris et le mois de novembre éternel de papa et voilà que mamie faisait entrer le soleil et la pluie dans notre maison !
J'aurais voulu vivre toute ma vie sous les giboulées de mars de ma grand-mère. Sous les rires, les pleurs et les anecdotes qu'elle partageait. J'aurais voulu que ça ne s'arrête jamais.

***
J'ai toujours été une petite fille avec des tonnes de questions dans la tête et, du temps où elle n'était pas décédée, maman me répétait que les questions étaient mieux à l'extérieur que dedans.

***
Les tartes aux oignons sont entrées dans nos vies peu après le décès de maman.
Elles sont entrées dans nos vies parce qu'il fallait bien que mon père trouve un espace pour vivre son chagrin...

***
Son ton se voulait dur comme un roc, et pourtant j'avais senti une fêlure dans sa voix. Comme si sa cuirasse s'était craquelée et qu'à travers la fissure, un mince résidu de celui qu'il avait été appelait à l'aide. Je pense que ma grand-mère avait entendu cet appel bien avant moi. Je pense qu'elle l'avait entendu depuis l'autre bout de l'univers, au Japon. Elle a l'oreille fine, mamie.

***
En m’imaginant assembler les pièces de puzzle de mon animé favori je me voyais recoller mes morceaux intérieurs. Ça racontait quelque chose de moi que j’aimais bien. J’étais une enfant presque une adolescente qui vivait en France tout en faisant des puzzles d’un animé du pays de sa mère.

Éditeur : Gallimard Jeunesse 
Romans junior dès 10 ans
30 novembre 2023 - 217 pages - 13.50 €
Paru en poche (Folio Junior) en janvier 2025 : 7.90 €



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