mercredi 17 mars 2021

Journal d'un homme sans importance - George & Weedon Grossmith

Le meilleur de l'humour anglais, le pire de l'édition numérique ! 
J'ai beaucoup aimé lire ce livre, paru il y a plus d'un siècle et qui nous replonge délicieusement dans l'ambiance de la fin du 19e siècle à Londres.
J'ai détesté lire ce livre, car non seulement il y a comme souvent en numérique des mots scindés en 2, des numéros de page au milieu d'un texte, mais ici, on a certains paragraphes mélangés, des bouts de phrases dont le début se trouve trois pages plus loin, ou avant, etc. Apparemment, le texte initial est sur deux colonnes et par moments (pas tout le temps heureusement) il a été scanné horizontalement au lieu de  prendre la colonne de gauche puis celle de droite. Une horreur pour suivre le texte !

Donc, je vous conseille de le lire, mais pas en numérique.

Pour en revenir au texte, c'est très amusant à mon goût. J'y ai retrouvé l'humour de Trois homme dans un bateau, de Jérôme K. Jérôme, que nous lisions enfants et que je m'amuse à relire de temps en temps.

Charles Pooter, modeste employé de la City, vient de s'installer avec sa femme dans une nouvelle maison en banlieue londonienne, et décide d'y tenir un journal, envisageant même par moment de le faire éditer.
Etonnamment, avec le récit d'une vie somme toute assez terne, et sans grands évènements, il arrive à nous faire sourire tout le long, et je ne me suis pas ennuyée une minute à cette lecture.

Honnête et scrupuleux, attaché aux traditions et rejetant le modernisme, il est souvent d'une naïveté attendrissante.
Très modeste, mais cependant tout à fait persuadé que sa ligne de vie est la meilleure, la seule possible même. Que la modernité ne peut rien apporter de bon. 
Le contraste avec son fils, qui préfère frayer avec les artistes que mettre du coeur au travail, met de l'animation dans cette vie un brin morne.
Un fils dont il désapprouve totalement la conduite, mais qu'il voudrait diriger, et surtout conseiller comme si c'était encore un petit garçon.
Et nous suivons au final une délicieuse chronique de cette fin de siècle, étonnamment lointaine et pleine de surprises pour nous, alors pourtant que mes grands-parents étaient déjà nés (mais certes pas dans la City londonienne  !!) Que de bouleversements depuis.

Extraits :

A propos, cela me rappelle qu'il n'y a pas de clef à la porte de notre chambre à coucher, et que les sonnettes ont besoin d'être vérifiées. La sonnette du salon ne fonctionne pas, et celle de la porte d'entrée sonne dans la chambre à coucher de la bonne, ce qui est ridicule. Notre cher ami Gowing est passé dans la soirée, mais il n'est pas resté sous prétexte que la maison empestait la peinture. 
4 avril - Encore les fournisseurs : Carrie étant sortie, je me suis arrangé avec Horwin, le boucher, qui m'a fait bonne impression et dont la boutique m'a paru bien tenue. Je lui ai commandé pour demain une épaule de mouton pour le mettre à l'essai. Carrie, de son côté a commandé à Borset, le crémier, une livre de beurre frais, une livre et demie de sel de cuisine et deux douzaines d'œufs. Dans la soirée. Cummings nous a fait la surprise de sa visite. Il m'a montré une pipe en écume de mer qu'il avait gagnée dans une tombola, en me priant de la manier avec précaution, car il suffirait d'un peu d'humidité pour en altérer la couleur. Il n'a pas voulu rester à cause de l'odeur de peinture et a buté sur le décrottoir en sortant. Il faudra que je fasse enlever ce décrottoir. 
6 avril - Les oeufs pour le petit déjeuner étaient tout simplement infects. Les ai renvoyés à Borset avec mes compliments, en le priant de ne plus compter sur notre clientèle. Impossible de trouver mon parapluie, et bien qu'il plût à verse, j’ai dû m’en passer. Sarah prétend que Mr Gowing a dû le prendre hier soir par mégarde, car il y avait une canne dans le vestibule qui n'appartenait à personne. Dans la soirée, ayant entendu quelqu'un parler à voix haute à la bonne, je suis descendu à l'office pour voir qui c'était, et j'ai été surpris de découvrir qu'il s'agissait de Borset, le crémier. Il était ivre et tenait des propos insultants. En me voyant, il a déclaré qu'il ne livrerait plus jamais à des employés de bureau – que le jeu n'en valait pas la chandelle. Je me suis contenté de lui faire remarquer qu'on pouvait fort bien travailler dans un bureau et être un gentleman. Il m'a rétorqué qu'il était bien aise de l'apprendre, mais qu'en ce qui le concernait, il n'avait encore jamais rencontré un tel phénomène. Puis il est sorti en claquant si fort la porte que l'imposte a failli tomber. Je l'ai entendu trébucher contre le décrottoir, ce dont je me suis secrètement félicité. Après son départ, il m'est venu à l'esprit une superbe réplique que j'aurais dû lui faire. Tant pis, ce sera pour une autre occasion 
5 avril - Il est arrivé deux épaules de mouton. Carrie s'étant entendue avec un autre boucher sans m'avoir consulté. Gowing est passé et il a trébuché sur le décrottoir en entrant. Il faudra absolument que je fasse enlever ce décrottoir.

***
Le premier arrivé fut Gowing qui, avec son tact habituel, m'a salué par ces mots: "Hello, Pooter, vos pantalons sont trop courts ! "
Je lui ai répondu simplement: "Sans doute, et si vous insistez, il n'y a pas que mes pantalons que vous trouverez courts, ma patience risque bien aussi de l'être." Ce n'est pas ça qui les rallongera, m'a-t-il répliqué. Vous devriez demander à votre femme d'y ajouter un volant.
Je me demande bien pourquoi je perds mon temps à noter ce genre d'inepties dans mon journal.

***
Lupin, comme Mr Huttle, a parfois des idées originales et merveilleuses ; mais ce sont justement ces idées qui sont dangereuses. Elles font la fortune d'un homme ou bien le mènent à la ruine. C'est l'un ou l'autre, tout ou rien.

***
Je n'oublierai jamais l'effet que ces mots "juste milieu" eurent sur notre homme. Sa réplique fusa comme l'éclair. Voici à peu près ce qu'il dit : "Le juste milieu est synonyme d'heureuse, de misérable médiocrité. Voyagez en première ou en troisième classe, mais jamais en deuxième. Epousez une duchesse ou sa femme de chambre. Le juste milieu est synonyme de respectabilité, et la respectabilité est synonyme d'insipidité. N'est-ce pas, monsieur Pooter ?" 

Titre original : The Diary of a Nobody (1892)
Traduit de l'anglais et préfacé par Gérard Joulié
Éditions Noir sur Blanc, et 10/18 
Mars 2021 ; 240 pages ; 7.50 €






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