vendredi 17 septembre 2021

La Savoureuse Histoire des Sorrentinos - Virginia Higa

Ça se lit gentiment, mais il m'a vraiment manqué une étincelle.
Pourtant, tous les ingrédients sont là : des histoires de cuisine et de gastronomie, cuisine italienne qui plus est. Famille, et rivalités. Une famille italienne émigrée en Argentine avec toutes ses recettes et ses traditions.
Des sujets intéressants et de plus, qui me parlent  personnellement.

Mais j'ai plutôt eu l'impression d'une superposition d'anecdotes. La famille se ramifie au fil des générations et on se perd dans les prénoms. Je me suis un peu perdue aussi avec les qualificatifs, sans doute en dialecte, mais il est difficile de bien comprendre ce qu'ils recouvrent.
Et au final, je n'ai su m'attacher à aucun personnage.
Sauf peut-être l'oncle piémontais, qui fait un passage assez fugace, mais dont le caractère tranche dans cette exubérante famille du sud. (Sans doute parce que j'entends toujours dans ma tête mon père dire de quelqu'un "mais c'est un Piémontais" soulignant la rivalité des différents régions italiennes, dont l'unité finalement n'était pas si ancienne. Alors que lui-même était du nord aussi.
Malgré un arbre généalogique de la famille Vespolini, aucun autre ne m'a vraiment retenue, pas même le narrateur principal, assez peu sympathique.

Mais ça se lit facilement, entre anecdotes amusantes et cuisine appétissante.

J'ai trouvé un peu curieux de parler par exemple d'Alan Turing sans citer son nom. (Je pense qu'il y en a d'autres mais j'ai reconnu celui-ci !)

P.S. : après avoir rédigé ma chronique, je lis les autres commentaires, et je vois que ce roman a été bien apprécié, alors ne vous arrêtez pas à ma lecture, et lisez-le pour vous faire votre propre idée.

Extraits :

[Incipit]
Chiche Vespolini1 était le benjamin de cinq enfants, trois garçons et deux filles. Il s’appelait en réalité Argentino, mais on l’avait surnommé ainsi parce que, dans son enfance, il était si mignon, si gentil qu’il était devenu « le joujou de ses sœurs ». Les Vespolini s’étaient installés à Mar del Plata au début du siècle précédent et avaient toujours tenu des hôtels et des restaurants. De sa famille, Chiche avait hérité la Trattoria Napolitana, la première table au monde à servir des sorrentinos.
C’étaient des pâtes rondes et farcies inventées par Umberto, le frère aîné de Chiche, qui leur avait donné ce nom en hommage à la ville de ses parents. Le sorrentino n’avait pas le rebord de pâte des pansottis, ni la farce à la viande des agnolottis et, contrairement aux cappellettis, il ne contenait pas de ricotta. Il avait la forme d’une demi-sphère dodue façonnée avec une pâte douce comme un nuage, garnie de fromage et de jambon, selon une recette secrète.
De temps à autre, un client de la trattoria avait le mauvais goût de demander d’un petit air supérieur : « Le sorrentino ne ressemble-t-il pas à un ravioli, mais rond ? » Quand elles entendaient cela, les femmes de la famille levaient les yeux au ciel et les hommes s’affaissaient sur leurs sièges en soupirant.
Pour Chiche, celui qui posait ce genre de question manquait de sensibilité en plus d’être un ignare. Comme on le sait, le ravioli se mange en une bouchée et on peut en servir tout un tas dans une assiette. Le ravioli n’est pas une entité définie, il n’existe que par accumulation. Dire « j’ai mangé un ravioli » est ridicule, c’est un non-sens. Un sorrentino, en revanche, est une réalité en soi. Un enfant ou une femme ayant un appétit d’oiseau peut déguster un seul sorrentino en toute dignité. Un tiers ou un quart de sorrentino reste tout aussi décent que n’importe quel ravioli. « Chaque pâte a sa personnalité », disait Chiche, qui corrigeait aussi ceux qui confondaient les agnolottis avec les tortellinis ou les tagliatelles avec les pappardelles.
À la trattoria, on servait des assiettes de six sorrentinos, pas un de plus, pas un de moins. Il était fondamental de ne couper son sorrentino qu’avec sa fourchette ; celui qui y plantait un couteau était automatiquement taxé d’étranger. 

***
On ne servait pas de pizzas à la trattoria. La pizza était une institution en soi et aucun Napolitain n’aurait eu le culot de l’inscrire au menu sans être maître pizzaiolo. La confection d’une pizza obéissait à des règles strictes que les membres de la famille respectaient, comme ils tenaient à ce qu’on suive les consignes qu’ils avaient établies pour la fabrication des sorrentinos, bien que la perspective de devoir divulguer la recette de la pâte les hérissait. À Naples, certaines pizzas étaient faites avec des tomates cultivées sur les versants du Vésuve et il fallait toujours verser l’huile d’olive extra vierge qui en rehaussait le goût dans le sens des aiguilles d’une montre. De même, les sorrentinos n’auraient pu être cuisinés autrement qu’avec la pâte secrète d’Umberto et l’eau de Mar del Plata.


Titre original : Los Sorrentinos (2018)
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon
Éditeur : Les Presses de la cité - 10 juin 2021
192 pages ; 19.00 €
Lu en numérique via NetGalley
Version numérique : 12.99 €

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