jeudi 3 décembre 2020

Le clocher de Noël et autres crimes impossibles - Roland Lacourbe

Une anthologie de nouvelles policières, toutes sur le thème du lieu clos, du meurtre impossible. Le sujet ne pouvait que m'intéresser, même si j'ai d'abord été attirée par la couverture, puis par l'éditeur, car j'aime toujours beaucoup mes lectures de l'Archipel. 
Je ne suis pas une grande lectrice de nouvelles, mais en policier, c'est différent, c'est un format qui s'adapte bien au sujet à mon avis, des histoires denses qui vont à l'essentiel. Ce qui n'empêche pas ici que les décors, lieux, personnages sont chaque fois très bien posés.
Un recueil de 13 nouvelles,  douze écrites de 1897 à 1953, dans l'ordre chronologique. La dernière plus récente (1977)  mais se déroule en 1925.

 Une intéressante introduction, bien détaillée, sur les Crimes en chambre close, ou crimes impossibles.
J'en connaissais quelques-uns bien entendu, j'ignorais qu'il y en eût autant, un genre très prolifique en fait, depuis presque deux siècles.

Les nouvelles sont vraiment très variées, mais toujours sur la base d'une impossibilité qui sera résolue en général par l'enquêteur, souvent un amateur. 
Pour chacune, une rapide présentation de l'auteur, de son oeuvre. Souvent l'enquêteur est récurrent.

Le suicide de Kiaros (1897) Frank L. Baum

Je ne le connaissais que pour être l'auteur de Le Magicien d'Oz (découvert il y a peu, grâce à Usborne même si je savais depuis toujours que ça existait)
Une très étonnante nouvelle pour ouvrir le recueil : Si on comprend le mécanisme, ce n'est pas parce qu'un enquêteur doué le découvre.  En fait, ce sera le "crime parfait" mais on le vit de l'intérieur. On suit le meurtrier jusqu'au dénouement, on est vraiment "à l'intérieur" de l'affaire !

Les diamants disparus (1897) Matthias McDonnell Bodkin

Enquêteur Paul Beck
Un humour léger, un tour de passe-passe, un prestidigitateur qui aide le détective
On se doute un peu, mais c'est joli !!

Extrait :

Nous croyons savoir que le fameux détective, Mr Beck, à la demande de Mr Ophir, a été reçu peu après la disparition des diamants à Upper Belgrave Street. Il a une piste, bien entendu. Une piste est un accessoire dont tout détective digne de ce nom n'est jamais démuni. 

L'homme volatilisé (1901) L. T. Meade & Robert Eustace

"On doit à la collaboration de L. T. Meade, pseudonyme d’Elizabeth Thomasina Meade Smith (1854-1914), et de Robert Eustace, pseudonyme d’Eustace Robert Barton (1854-1943), tous deux britanniques, la première anthologie au monde entièrement consacrée aux histoires de crimes impossibles, A Master of Mysteries (1898).
On aura une petite idée de la qualité de leur production en lisant la nouvelle suivante, d’une force et d’une originalité peu communes pour son époque, et qui fait regretter que la totalité de ces histoires n’aient encore jamais bénéficié d’une traduction française."

Montée de l'angoisse jusqu'à la découverte horrible de la fin.
La victime est mise en garde avec insistance,  mais ne veut rien entendre.

Dans la boule de cristal (1906) Jacques Futrelle

Mort à 37 ans (dans le Titanic) une cinquantaine de nouvelles et romans avec le détective Professeur S. F. X. Van Dusen, surnommé, grâce à ses exceptionnelles facultés intellectuelles, la Machine à Penser.

Pas vraiment chambre close ici, et pas non plus de fantastique malgré la présence importante de la boule de cristal.
Mais une belle énigme résolue dans une ambiance assez étonnante

Extraits : 
— Alors, proposa la Machine à Penser, racontez-moi !
Varick lui exposa les faits avec assez de lucidité, et le professeur écouta avec un intérêt poli. Une ou deux fois, il se pencha vers son interlocuteur et le regarda.
— Croyez-vous aux forces psychiques ? demanda Varick.
— Je ne refuse rien jusqu’à ce que j’aie prouvé que cela ne se peut pas, fut la réponse. Le dieu qui a accroché un soleil là-haut a accompli d’autres miracles que nous ne comprendrons jamais.

*** 
C’est plus tard dans la soirée que la Machine à Penser éclaira Hatch et l’inspecteur Mallory sur la méthode analytique qui lui avait permis de résoudre le problème.
— Le charlatanisme est un luxe qui coûte des sommes astronomiques aux habitants de notre planète, commença-t-il. Son origine remonte à la nuit des temps, lorsque l’âme humaine recherchait une preuve tangible d’un pouvoir infini et, à cause de sa grande impatience, se contentait de n’importe quel substitut. Ensuite, les faux prophètes ont fait leur proie des hommes ; aujourd’hui encore, ils prolifèrent sous différents costumes et différents noms. Et cela durera jusqu’à ce que la Lumière se répande sur le monde de manière générale, afin qu’on ne gobe plus des sornettes comme, par exemple, la nature, ou d’autres forces, prenant la peine de prédire les fluctuations des cours de la Bourse. Son sens de l’humour devrait convaincre l’être humain que des esprits désincarnés ne viennent pas frapper sur des guéridons en réponse à des questions stupides. Ces choses-là ne sont rien d’autre qu’une prostitution des révélations divines.
Hatch esquissa un sourire devant le ton doctoral de son ami, et l’inspecteur Mallory mâcha son cigare d’un air mal à l’aise. Il était là pour recevoir des informations sur un crime ; ce genre de discours lui passait au-dessus de la tête.

***
— Et la boule de cristal ? demanda Hatch. Comment fonctionnait-elle ? Comment se fait-il que je vous voyais ?
— C’était un ingénieux système, plutôt coûteux, dit le savant ; tellement coûteux que Singh devait espérer récolter une grosse somme. Je ne saurais mieux décrire la fabrication de la « vision » que comme une variation du principe de la camera obscura.

Le Mystère Doomdorf (1914) Melville Davisson Post

Enquêteur : L'Oncle Abner

Un vrai meurtre en chambre close cette fois.
Feu de dieu, magie noire, et pourtant une simple explication physique finalement !
Et un bref passage à la baie de Chesapeake. (Une importance "littéraire" pour moi)

Extraits :
— C’est la chose la plus étrange qui se soit jamais produite, dit-il. Voilà un vieux prédicateur fou qui pense avoir tué Doomdorf avec le feu du ciel, comme Élie le Prophète ; et voilà une femme, en fait une simple enfant, qui pense l’avoir tué avec son tour de magie remontant au Moyen Âge… tous deux n’étant pas plus coupables de meurtre que moi. Et pourtant, par l’Éternel, la brute est bien morte !

***
L’oncle Abner regarda Randolph dans les yeux.
— L’assassin de Doomdorf a même fait plus, dit-il. Le meurtrier ne s’est pas contenté d’escalader la paroi rocheuse de ce précipice et d’entrer par une fenêtre fermée, mais il a tiré sur Doomdorf, il l’a tué, et il est ressorti par la fenêtre fermée sans laisser la moindre trace ou la moindre piste derrière lui et sans déranger un seul grain de poussière ou un seul fil de toile d’araignée.
Randolph poussa un énorme juron.
— C’est impossible ! s’écria-t-il. Aujourd’hui, en Virginie, on ne tue pas des gens à coups de magie noire ou de malédiction divine.

Le Problème du pont de Thor (1922) Arthur Conan Doyle

On ne pouvait imaginer cette anthologie sans y rencontrer Sherlock Holmes !
Un meurtre à l'extérieur, mais assez impossible dans sa configuration.
Le mari veut faire disculper l'accusée, cependant, on dit de lui qu'il était très violent avec sa femme. qui croire ?
Holmes va deviner bien entendu ce qui s 'est passé près du pont


La Chambre de la mort (1922) Frederick Irving Anderson

Une demeure ancienne, des morts à répétition dans la chambre rose depuis longtemps.
Une acheteuse surprenante, et pressée, malgré le danger potentiel. 

Extrait :
— Je veux cette maison. Telle qu’elle est.
Ses yeux brillaient d’un éclat fiévreux.
— C’est trop fort ! s’exclama l’homme en se levant, sans chercher à dissimuler son irritation.
— Et je veux qu’on ne change rien. Pas même les cendres dans l’âtre.
— Et le fantôme ? demanda Belden.
— Le fantôme, je le veux aussi.
— Avez-vous vu la chambre rose ? À l’autre angle ? demanda Belden en montrant le plafond.
— Celle où il y a un grand lit à baldaquin ?
— Oui. Voilà encore quelque chose dont on ne parle guère dans notre famille. Et qui pourrait bien refroidir votre enthousiasme. Personne n’ose aller y dormir. Plusieurs ont essayé ; ils se sont réveillés morts le lendemain matin.
— Angus ! Angus ! s’exclama-t-elle d’une voix extasiée. 
Elle se leva d’un bond et entoura de ses deux bras le cou de son compagnon. D’un geste boudeur, il tenta de se dégager, mais sans succès.
— Tu te rends compte. Il y a tout ce que je cherchais. Un cheval fantôme et une chambre de mort. Et cette pièce ! Je veux tout cela pour moi ! Je m’en suis tout de suite doutée en entrant.
Elle se tourna vers Belden.
— Quel est votre prix ? Je la veux tout de suite. Sans délai.


Thérèse et Germaine (1923) Maurice Leblanc

Sur la plage d'Étretat, un crime en chambre close, en  l'occurrence une cabine de bain fermée.
Arsène Lupin est présent, sous l'identité du Prince Rénine. Il joue ici le rôle de l'enquêteur, et s'il n'empêche pas le meurtre, il devine tout d'une affaire plutôt complexe, et il s'en mêle bien entendu.



Le Vengeur ailé (1924) Gilbert Keith Chesterton

Détective : Le Père Brown
Un joli tour de passe-passe. 
Thème intéressant, mais trop de considérations philosophiques, religieuses et mystiques.
Ça alourdit la nouvelle, dommage car c'est une jolie pirouette sur le thème du crime impossible.

Extrait :
Mes frères avaient réagi au mysticisme des derniers jours de mon père par un scepticisme moqueur. Mais j'ai toujours su que les idées de mon père étaient beaucoup plus profondes qu'ils ne le pensaient. Il est vrai qu'en étudiant la magie il a fini par succomber aux sortilèges de la magie noire, celle de cette canaille de Strake. Mais mes frères se sont trompés sur la nature de l'antidote. L'antidote de la magie noire n'est pas le matérialisme brut ni la science de ce monde. L'antidote de la magie noire, c'est la magie blanche. 
— Cela dépend de ce que vous entendez par « magie blanche »... 
— Je veux parler de la magie argentée, dit l'autre à voix basse comme s'il révélait un grand secret. Il s'interrompit un instant, puis il demanda 
– Savez-vous ce que je veux dire par magie argentée ? 


L’Indice de la feuille de thé (1925) Edgar Jepson & Robert Eustace

Sans doute un de mes préférés.
Situation bien posée clairement, et joli coup de théâtre. Même si la résolution m'a fait penser au coup du gigot de Roald Dahl. 

Assassinat programmé (1936) C. St. John Sprigg

Un étonnant meurtre en pièce close mais ... transparente. Et comprendre le mécanisme ne suffit pas, encore faut-il dénoncer le meurtrier !



Du mouron pour les petits poissons (1953)  Joseph Commings

Salem
Héros : le sénateur américain démocrate Brooks U. Banner

Sans doute un des plus originaux, puisque les meurtres se passent sous l'eau. La solution est moins inattendue, mais le dénouement étonnant.
On y évoque Boston, et même Salem et son port.






Le Mystère du clocher de Noël (1977) Edward D. Hoch

Héros le docteur Sam Hawthorne.
On termine aussi par une jolie pirouette.
Des Bohémiens s'installent en Nouvelle-Angleterre. La méfiance est là comme ailleurs.
Jusqu'au meurtre dans le clocher, après la messe de Noël. Le coupable est vite trouvé ... mais ...

Extrait :
— Je ne l’ai pas tué ! hurla-t-il. Vous devez me croire – je ne l’ai pas tué !
 C’était le plus incroyable mystère de chambre close. Mais comment pouvait-on parler de chambre close, puisqu’il n’y avait même pas de chambre et que le local était ouvert sur les quatre côtés ? Et pouvait-on parler de mystère, puisque le meurtrier se trouvait sur les lieux avec l’arme et la victime ?
Et pourtant…


La couverture fait plutôt penser à une comédie de Noël (et je l'aime beaucoup) mais en fait, seule la dernière nouvelle se passe réellement à Noël.

Une anthologie que je conseille pour les amateurs du genre. toutes les nouvelles sont intéressantes et bien écrites, c'est très varié malgré le thème commun.
J'ai aimé la courte présentation pour chacune, et ça donne des pistes intéressantes pour d'autres lectures.  (Et encore plus si vous lisez en anglais, car beaucoup de ces auteurs ont eu peu de leurs textes traduits hélas.)

Éditeur : L'Archipel - 19/11/2020 - NOUVEAUTÉ
384 pages - 20.00 €
Lu en numérique via NetGalley que je remercie.











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