samedi 22 janvier 2022

Le livre des heures – Anne Delaflotte Mehdevi

Anne Delaflotte Mehdevi est une fée ! Comme elle m’avait passionnée avec La Relieuse du gué, et sa suite, Le Portefeuille rouge, elle me passionne ici pour l’enluminure, et les débuts de l’imprimerie, sujets auxquels je ne m’intéressais pas le moins du monde avant de la lire !
Le titre ne m'aurait pas attirée, mais quand j'ai vu qui en était l'auteur, je n'ai pas hésité. Et j'ai bien fait, quel bonheur !

Marguerite, née en 1468 vit à Paris sur le Pont Notre Dame, partageant son temps entre l’atelier d’enluminure de son père et son grand-père, et l’apothicairerie de son parrain.
Sa mère s’obstine à tenter d’en faire une jeune fille accomplie à la mode de l’époque, puis de la marier. Alors que Marguerite ne rêve que de liberté, et d’intégrer l’atelier familial.
Tout en s’occupant énormément de son frère, atteint du « mal de Saint-Jean » et dont elle est très proche, elle parvient peu à peu à trouver sa place à l’atelier, lieu normalement exclusivement masculin.
Elle en profite pour réaliser son propre Livre d’heures, dans lequel elle va intercaler le récit (en texte ou illustrations) de toutes les heures importantes de sa vie.

On va, par ses yeux, voir le quotidien à la fois d’une profession dont les heures sont comptées, du peuple de Paris, des femmes dont la place est bien définie. Découvrir ce monde étonnant qui vit et travaille sur le pont. Admirer avec elle le flot de la Seine et les saisons.

Dans chacun de ses romans, l’autrice, quelle que soit l’époque, sait nous rendre proche tout un petit peuple au travail, de la façon la plus vivante qui soit.

Ceux qui me suivent savent que je préfère les livres avec de l’action plutôt que de la réflexion, mais les textes d’Anne Delaflotte Mehdevi sont si beaux que je les dévore sans les lâcher. Et finalement, il s'y passe tant de choses !

En plus de cette vie quotidienne qui nous est si étrangère, nous croisons aussi quelques évènements historiques, la prise de Grenade, les voyages de Christophe Colomb, les débuts de l’imprimerie.
Mais ce qui émeut profondément, c’est la vie de Marguerite, sa famille, ce travail d’enluminure.

Difficile de faire ressentir la beauté de ce texte, lisez-le !

Extraits : 
[J'ai retenu beaucoup d'extraits, que je souhaite garder, n'ayant pas le livre. Mais ils ne suffisent pas pour donner une idée de l'enchantement de cette lecture.]

La bourgeoise qui a commandé son précieux livre veut que sur telle image l’enlumineur la représente assise, recueillie à lire au coin du feu, ou à porter la traîne de la Vierge. Elle le désire, aussi fort que nos contemporains brûlent de prendre leur égoportrait, comme disent les Québécois, front contre front, avec leur idole.

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Marguerite ne tranche pas entre messe privée ou messe en troupeau, mais souscrit, et en cela est bien fille de son temps, à l’idée que si Dieu a fait l’Homme à son image, alors avoir foi en Dieu, c’est avoir foi en l’Homme. Pourquoi, dès lors, ne pas se fier à ce goût de chercher et de comprendre qui l’a toujours animée, comme il animait déjà Ève sous le pommier ? Elle se pose la question mais ne la pose pas à son confesseur. Innocente, innocente à demi

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N’est-ce pas étonnant, parrain, que le jardin d’un Maure ressemble à la représentation du paradis qu’en ont les chrétiens ?

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Le statut de veuf ne change rien à la vie d’un homme dans la société d’alors, le statut de veuve change presque tout dans la vie d’une femme. En mieux, selon Marguerite, qui ne se sent ni insolente, ni monstrueuse à le penser. Le statut de veuve est relativement favorable à la femme, voilà ce qu’elle entend, ni plus ni moins. Il est même tellement favorable, qu’elle ne doute pas qu’on fera tout pour l’en dépouiller en la poussant à se remarier. 

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Si la mode est à l’ouvrage imprimé, l’histoire peinte garde tout son prestige. Le père produira un livre, fabriqué en série, que Marguerite et les autres peintres de l’atelier illustreront, enlumineront, y apportant une touche personnalisée, selon le goût du client fortuné, comblé par cette alliance entre permanence et progrès.
L’industrie de l’imprimerie sauvera leur maison, mieux que son talent à elle, ou même son mariage, dont le temps est venu.

***
En ce temps-là, le religieux imprègne tous les domaines de la vie...
Si l'homme l'oublie, les cloches qui ponctuent le temps terrestre au clocher des églises le lui rappelle. C'est l'heure de la prière...
Posséder un livre d'heures n'est pas une option. Le noble, le grand bourgeois, le petit bourgeois, le tout petit bourgeois, le tout petit petit, tout le monde veut le sien.

***
le mariage n'a décidément rien pour plaire à Marguerite.
Ce matin encore, à l'apothicairerie, une femme prétendait être tombée dans l'escalier. Déjà, que des hommes battent leurs épouses a l'air si commun qu'elle écrit dans son livre, à la suite :
" Peut-être qu'en temps de paix, les hommes font violence aux femmes pour se sentir prêts ? Pour quand la guerre reviendra, pour garder le goût de la proie. "

***
[Début de l’imprimerie]
Le livre qui était serré avec les bijoux ou les titres de propriété hier, sera demain laissé à portée de mains, lu, relu, on le partagera, comme un repas, comme on partage l’essentiel.

Éditeur : Buchet-Chastel – 6 janvier 2022 – NOUVEAUTÉ
224 PAGES – 17.50 €
Lu en numérique via NetGalley que je remercie. 






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