mardi 12 mars 2024

Dernier bateau pour l'Amérique - Karine Lambert

Encore un roman qui n'en est pas un, avec une très belle écriture qui m'immerge dans l'histoire.
Quand elle narre par exemple le départ pour l'Amérique, d'une seule partie de la famille, départ dont en vérité elle ne sait pas grand chose, on ne lit pas, on EST avec eux. J'émerge du roman toute surprise d'être dans ma cuisine, pas dans une ferme de Dordogne.

Un roman étrange, car il y a, entremêlés, ce roman qu'elle essaie d'écrire sur une mère qu'elle a si peu connue, et l'histoire de l'écriture du roman. 
J'ai regretté que sur la liseuse, les passages du passé au présent soient souvent invisibles. Même pas un saut de ligne,  on enchaîne d'une époque à l'autre et c'est un peu pénible d'essayer de savoir de qui on parle. Mais c'est dû à la numérisation, pas au texte lui-même.

À la mort de sa mère, Karine Lambert, qui n'a jamais reçu aucun amour maternel, ni même l'attention minimale à laquelle un enfant a droit, n'assiste pas à l'enterrement de cette mère avec qui elle avait coupé les ponts depuis bien longtemps.  Déjà grand-mère, on pourrait penser qu'elle a fait le deuil de tout ce qui lui a manqué. Mais un mot d'une cousine tout aussi perdue de vue lui rappelle son manque de famille.
Elle se lance alors dans une enquête sur les traces de ce passé qu'elle ne connait pas, sa mère l'ayant toujours tenue à l'écart de la famille, sans lui parler du passé (ni du présent d'ailleurs).
On ne saura pas ce qui est vrai et ce qu'elle imagine.

Habituellement, les écrivains qui soignent leur mal-être en écrivant, j'évite férocement, je ne lis pas pour être leur psy. Ici, c'est totalement différent même si elle plonge dans son moi profond. C'est une recherche généalogique, en même temps qu'une écriture impossible à lâcher et un récit passionnant.
Et cette petite fille qui grandit totalement sans amour maternel, sans amour parental, c'est poignant. On voudrait que ce soit un roman, et ça n'en est pas un.

La vie de sa mère est faite d'errance et de musique.
[Attention, je divulgâche un peu !]

Germaine / Jenny est née à Anvers, la seule de la famille à n'avoir pas connue la Russie qui leur manque tant. Et puis, la guerre les rejoint, les juifs doivent fuir encore, traversée de la France occupée, séparation des familles, refuge pour un temps dans la campagne de Dordogne, et c'est, enfin, le dernier bateau pour l'Amérique, de justesse, avant que même l'exil ne soit plus possible, juste avant de devoir porter l'étoile jaune.
Jenny s'y épanouit, et devient une pianiste célèbre malgré son jeune âge.
Mais sa mère ne s'est jamais adaptée à l'Amérique et préfère revenir en Europe après la guerre. 
Un déchirement de trop pour Jenny.
La fin m'a laissée un peu sur ma faim : Qu'est devenu le père, qui a tant voulu cet enfant, au point de l'imposer à une femme qui ne voulait surtout pas être mère.

On suit donc en parallèle ce que Karine apprend sur sa famille, et le travail sur elle-même qu'elle doit faire pour accepter, pour se réconcilier avec son histoire familiale, et comprendre pourquoi sa mère l'a été si peu, maternelle.
La rencontre avec sa cousine américaine apporte une respiration et une légèreté bienvenues.

Un début surprenant, en clin d'oeil (hommage) à Camus.

Je ne connaissais encore aucun des livres de cette autrice, mais celui-ci est certainement le plus personnel.

Extraits :

[Incipit]
Ma mère est morte il y a un mois.
Je ne suis pas allée à son enterrement.

***

Le malheur traversé ne protège pas d'un nouveau malheur.

***
C'est pourtant le propre de l'écrivain de se mettre dans la peau de personnes très éloignées de lui.

***
Huit convives sont attendus. Sa mère a préparé des Piroshkis pour cinquante.

***
Nous ne serons jamais les bienvenus nulle part

***
Evenou shalom alerhem !

***
Je ne connais rien qui puisse autant me raccrocher à la vie que l'écriture. C'est aussi fort que d'être amoureuse. Chaque livre est une nouvelle histoire d'amour. Je pensais que celle-ci n'en était pas une.

***




Éditeur : La Belle Étoile Hachette  - 13 mars 2024 - NOUVEAUTÉ
352 pages - 21.90 €
Lu en numérique via NetGalley que  je remercie.






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