Au-delà du thème intéressant, des thèmes même, c'est le plaisir de lecture surtout. Le roman que j'ai envie de reprendre du début une fois trop vite terminé, pour ne pas abandonner Bloomstone, son ambiance originale et ses habitants si attachants. C'est rare que j'ai autant de mal à me séparer d'un roman et à passer au suivant !!
1898, Agathe a dix-neuf ans. L'âge de dénicher un mari, et de mener une vie bien conventionnelle. Mais Agathe ne l'entend pas ainsi, ce qui l'intéresse elle, ce n'est pas la broderie et le piano, ni même la danse et les réceptions, mais la science, et plus particulièrement l'astrophysique.
Absolument hors de question qu'on découvre ce "mauvais penchant", et son père n'a qu'une idée pour lui faire passer cette lubie : la marier au plus vite.
Elle va heureusement trouver de l'aide auprès d'un voisin, noble très atypique.
Mais il est impensable qu'une représentante du sexe féminin puisse suivre des études, ou participer à un concours de science, ce serait tellement choquant.
Il va lui falloir à la fois de bons soutiens, et une belle énergie, pour parvenir à ses fins.
Quand nous avons acheté ce livre, je savais que le sujet principal était cette difficulté, à la fin du 19e siècle, pour les femmes à accéder à des études et des métiers intéressants, à pouvoir vivre comme elles l'entendaient sans être sous la dépendance totale d'un mari.
Mais il n'y a pas que cela dans ce roman.
Une jolie romance occupe une bonne place.
Un manoir où le "maitre" traite ses domestiques en amis, où tout le monde mange à la même table.
Et surtout, on y rappelle le danger d'être homosexuel dans la prude Angleterre victorienne, qui peut vous mener à la prison, voire pire. Oscar Wilde y sera même évoqué.
Le tout avec une écriture terriblement attachante, des personnages qu'on ne voudrait plus quitter. Un côté scientifique assumé, c'est parfois assez technique même, mais toujours tellement plaisant.
Un vrai bonheur ce roman, féministe, mais tellement plus que ça. Une ouverture d'esprit qui fait du bien.
Extraits :
La science requiert en effet rigueur, discipline, organisation, mais elle demande aussi beaucoup d'imagination. Comment découvrir, innover, si notre esprit ne voit pas plus loin que ce qui a déjà été fait ? En cela la littérature est une bénédiction.
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Pour moi, c'est aussi cela, la physique, ces instants volés à mes obligations de jeune fille sage et dévouée. Je ne suis moi-même qu'à deux endroits : au milieu des livres et sous le ciel nocturne, rêvant de toucher les étoiles.
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- Vous avez surtout tellement peur de l'esprit féminin que vous leur fermez l'accès aux études supérieures.
Il hausse les sourcils :
- Pas le moins du monde. Je ne vois pas de quoi vous parlez, les cursus pour femmes existent depuis de nombreuses années.
-Pour que vous puissiez vous assurer que jamais elles ne vous surclassent dans les vôtres ! Pour vous dédouaner de toute notion de telle égalité ! Vous en faites des infirmières plutôt que des médecins. Alors qu'elles pourraient devenir ingénieures, elles restent des ouvrières qualifiées et des éternelles secondes. Savoir, c'est pouvoir, et cela vous terrifie !
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Notre société, et tout particulièrement ma caste, rejette unanimement les homosexuels, jusqu'à les emprisonner et les envoyer aux travaux forcés. Cela revient, la plupart du temps, à les condamner à mort.
Je me sais conditionnée pour réagir de la même manière, alors pourquoi cette idée me donne-t-elle la nausée ? C'est peut-être ma nature de toujours tout remettre en question. J'ai vu le regard que Stone a posé sur Evelyn, j'ai vu son sourire. Je ne connais peut-être rien à l'amour, mais je ne vois pas ce que ça peut être d'autre. Quel jugement peut-on porter sur des gens qui s'aiment ? Qui nous octroierait ce droit ? C'est idiot !
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-Je me sens si petite face à tout ça, si insignifiante, et en même temps, c'est si exaltant. Je ne sais pas si vous saisissez. (...)
-Une sorte de vertige ? Comme quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, ainsi qu'à tous ceux qui n'ont pas encore été écrits. Est-ce cela dont vous parlez ?
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Le papier se plie tant la rage me fait serrer les doigts.
Depuis quand se soucie-t-elle de mon bonheur ? Elle n'a jamais compris que mon bonheur passe par la physique, la science et les livres. Tout cela lui importe peu : il faudrait que je me taise, que je me range, que je sois un double d'Euphemia, si douce, si féminine, si discrète, mais ce n'est pas moi.
Non, elle ne désire pas mon bonheur.
Elle ne s'intéresse qu'à ma réputation, et par extension, à la sienne.
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Notre amour authentique pour la science passera pour un écran de fumée et ne nous sera d'aucun secours, d'autant que personne ne croira qu'une femme puisse s'intéresser à la physique.
Pour l'heure, je ravale mes doutes et ne peux m'empêcher de sourire à l'idée de passer une semaine dans ce manoir, au milieu des livres, à discuter de tout ce qui m'est cher.
Éditeur : Casterman - 1 février 2023 - 402 pages - 16.90 €
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