vendredi 23 avril 2021

La maison aux miroirs - Cristina Caboni

Joli coup de cœur un brin inattendu pour ce roman que j'ai trouvé plutôt atypique.
J'ai commencé assez lentement, puis accroché vraiment, et à présent, les personnages m'habitent encore, j'ai du mal à passer à autre chose.

Le cadre enchanteur de la côte amalfitaine, des allers-retours entre notre époque et les années 60.
Une vraie belle histoire de famille, avec des secrets incroyables mais cohérents. Et quelques décennies d'Histoire : la guerre froide et le maccarthysme, la Russie, mais aussi Cinecittà, et l'évocation des acteurs, Anna Magnani, Walter Chiari, Silvana Mangano...

Le roman s'ouvre comme un policier : À l'occasion de travaux dans la propriété de son grand-père,  Milena assiste à la découverte d'un squelette enfoui, probablement depuis un bon demi-siècle.
Bien entendu, une enquête est ouverte. Et Milena n'a qu'une idée en tête, protéger son grand-père qui l'a élevée, qu'elle adore, et qui est à présent très fragile.
Elle ne se doute pas que les secrets qui vont se révéler éclaireront une grande partie de l'histoire de sa famille. Et qu'ils prennent racine dans l'Histoire du siècle passé.
Car on va parallèlement suivre Eva dans sa jeunesse, cette grand-mère disparue ou enfuie, dont personne ne parle jamais.

Tout est prenant dans ce roman. 
Cette maison aux miroirs, pleine de secrets et de souvenirs qui affleurent dans la mémoire.
La beauté de la côte amalfitaine, élément de roman à elle seule.
L'amour que Milena porte à son grand-père Michele.
Et si  l'on devine (ou croit deviner) peu à peu certains secrets, l'intrigue est plus complexe qu'elle n'apparaît de prime abord, et le suspens s'accroît au fil des pages. 
Beaucoup de personnages sont touchants. 
On est aux côtés de Milena, à ce moment difficile où on découvre qu'on ne peut plus compter sur les générations qui nous précèdent pour nous aider et nous guider,  mais que c'est à nous de prendre les décisions, de savoir ce qui est bien, ou moins mal, et d'aider au lieu de se faire aider. Le moment où toute vie bascule vers l'âge adulte.

Curieusement, mes lectures du moment m'amènent d'un secret de famille à l'autre.
Le Chemin à l'enversLa lumière était si parfaite, puis celui-ci, et le deuil de la mère pour les deux derniers. 

Un bon roman addictif, plutôt inclassable, lu un peu trop vite dans l'impatience de tout comprendre, et que je relirai bientôt volontiers pour mieux en profiter.

Extraits :

chaque être humain vit un nombre limité de jours et d’années ; le reste fait partie du passé et du futur. La seule chose qui nous appartienne c’est le présent, bien que les gens l’oublient souvent et le négligent, comme si ne compte vraiment que ce qui est déjà arrivé ou qui arrivera un jour.

***

Elle tenait entre les mains une vieille copie d’« Only You » des Platters. Quand elle découvrit le tourne-disque, elle ne put résister. Elle brancha la prise électrique et retint son souffle. Il y eut un petit tremblement, puis une lumière s’alluma. C’était un Grundig, qui faisait aussi radio. Elle eut envie de rire en posant la pointe de diamant sur le disque en vinyle, puis la voix élégante de Tony Williams déchira le silence. Au bout d’un instant, la suave mélodie se répandit dans la pièce. Milena, sous le charme, observait les formes de ce vieil appareil d’excellente facture. Autrefois, même la musique avait quelque chose de physique, pensa-t-elle. À présent, tout tenait sur une carte à puce. Ce n’était pas exactement la même chose.
Elle caressa la pochette qu’elle tenait serrée contre sa poitrine. Elle aimait cette impression de toucher la musique. Elle changea de disque. Cette fois, c’était Elvis Presley. La mélodie entra en elle et, sans s’en apercevoir, c’est en exécutant de petits pas de danse que Milena poursuivit ses recherches. 

***
Il y avait comme une faille dans son passé, et elle devait la combler. Elle ne voulait qu’une chose : savoir. Car seule la vérité lui apporterait la paix et la sécurité. Peut-être que sa recherche intérieure, cette sorte d’incertitude qui la poursuivait, venait justement de son enfance.

***
- Tu es adulte, Milena, tu ne peux pas continuer à vivre dans ces sortes de limbes. Pourquoi gâches-tu ton énergie dans le théâtre si tu n’as pas l’intention de devenir une grande comédienne ?
Comment son père pouvait-il se montrer aussi terriblement obtus sur certains aspects qui la concernaient, mais lire aussi bien au fond de son âme, d’un seul coup d’œil ? Elle chercha des mots justes, parce qu’elle voulait désespérément qu’il la comprenne.
- Jouer me permet de regarder à l’intérieur de moi, de me mettre à l’épreuve, de comprendre qui je suis, de comprendre les autres, et le monde. La vie me comble, papa, je deviens un récipient de mots et de gestes qui ne sont pas les miens, et puis vient un moment où c’est trop, où je n’arrive plus à le gérer, je déborde ! Jouer me permet de projeter tout cela à l’extérieur, de me libérer en continuant à ressentir et à comprendre. Cela n’a pas de but précis, le succès ne m’intéresse pas.

Titre original : La Casa degli Specchi (2019)
Traduit de l'italien par Marie Causse
Éditeur : Les Presses de la Cité - 1 avril 2021 - NOUVEAUTÉ
336 pages - 20.00 €
Lu en numérique 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire